samedi 26 février 2011

Kadhafi sur la voie de ses mentors

Par Mounia Halimi
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Les « mercenaires africains », dont certains s’expriment en français et qui sont en première ligne de la répression des manifestants Libyens sont le résidu de tous les conflits dans lesquels la France s’est ingéré durant des décennies dans le continent Africain. L’aspect financier de l’activité n’apparaît pas plus décisif qu’ailleurs. Certes, la rémunération - de 4 500 à 7 500 euros mensuels. Dans ce milieu, et parmi ceux qui s’enrichissent le plus, on trouve par exemple d’anciens gendarmes de l’Elysée, issus de la génération précédente, comme M. Paul Barril. Grâce à des carnets d’adresses bien fournis, ils se sont reconvertis en Afrique dans de fructueuses affaires mêlant produits de grande consommation, livraison d’armes et recrutement de combattants. L’expression « milieu mercenaire » est contestée. Pour ceux qui la pratiquent, l’hétérogénéité du milieu n’est guère tempérée que par des « affinités » : les réseaux amicaux et relationnels autour des figures très contestées de Marquez, Sanchez ou Garibaldi. Surnommé le Vieux, Robert Denard - dit Bob Denard -, le mercenaire français le plus connu du grand public, qui était un puissant facteur de cohésion du milieu dans les années 1960 et 1970, n’a pas laissé de successeur. Peu de figures du mercenariat français conjuguent, aujourd’hui, les qualités nécessaires à pareil magistère : formation militaire, expérience du combat, capacité à entraîner les hommes, sens de l’organisation et relations bien placées. L’instruction et l’encadrement de troupes constituent le premier volet de l’activité des mercenaires français, forts d’ un savoir-faire que beaucoup de soldats de l’armée régulière pourraient leur envier. Les spécialités représentent le second volet : transmissions, renseignement, pilotage d’hélicoptères, tir d’artillerie, montage d’opérations spéciales... Cela fait trente à quarante ans que les armées occidentales et les mercenaires forment les armées africaines. Aujourd’hui, le combattant de base est formé : grosso modo, il sait défiler et tirer. Les atouts des Français sont une bonne connaissance de l’Afrique francophone et un savoir-faire artisanal, par opposition à la compétence industrielle des Anglo-Saxons. L’origine militaire des mercenaires français est à la source de leurs relations ambiguës avec les services spéciaux et de renseignement de la métropole. Les principaux viviers sont les régiments parachutistes, les troupes de marine (ex-coloniales) et la Légion étrangère. A 20, 25 ou 30 ans, ces hommes ont quitté une institution jugée trop bureaucratique pour prendre des responsabilités dans le cadre de groupes opérationnels plus ramassés. La professionnalisation des armées françaises devrait renforcer cette tendance : les postes à responsabilité se faisant plus rares, les carrières plus courtes et plus resserrées, pourraient opter pour la voie du mercenariat. Le recours à des soldats privés - terme qui remplace souvent celui de mercenaire, jugé galvaudé - présente, pour l’Etat, deux avantages majeurs. Il s’exonère ainsi de tout contrôle démocratique, sans risque de froisser l’opinion publique. Consommables et jetables à loisir, les mercenaires, ne laissent pas de traces. Mieux vaut perdre un mercenaire qu’un électeur. Dans sa fonction de relais de la politique gouvernementale, l’opération mercenaire s’insère parfois dans un schéma bien huilé, assistance militaire, mercenaires, troupes régulières. Ce schéma s’applique d’ailleurs à la situation qu’a connue la Côte d’Ivoire au lendemain du coup d’Etat du 19 septembre 2002. Après que le ministre des affaires étrangères français, M. Dominique de Villepin, eut demandé au président ivoirien, M. Laurent Gbagbo, de renvoyer les mercenaires à son service, les troupes françaises se sont déployées pour faire respecter le cessez-le-feu. La France pouvait difficilement intervenir ouvertement pour aider un régime peu francophile qui ne s’embarrassait guère du respect des droits humains, comme l’a montré la mise en place d’escadrons de la mort. En revanche, elle pouvait succéder à des mercenaires dont les exactions avaient été, au préalable, dûment médiatisées. L’envoi de mercenaires peut également constituer un signe politique de soutien, même minimaliste, comme cela a été le cas au Zaïre, fin 1996-début 1997. Une trentaine de Français étaient chargés d’y encadrer l’armée de Joseph Mobutu mise en déroute par les troupes de Laurent-Désiré Kabila, équipées par le Rwanda et l’Ouganda. L’opération s’est déroulée dans des conditions pathétiques : matériel rare et défaillant, apathie des troupes zaïroises, conflit entre les mercenaires français et serbes, rivalité entre deux services français... Quoique destiné à un régime condamné à court terme, ce geste fut un ultime signal de sympathie de Paris. La complicité objective entre les privés et l’Etat apparaît aussi dans le fait que les coups réalisés par les premiers ne sont en général pas remis en question par le second. Ainsi, l’opération d’un Bob Denard vieillissant, aux Comores, en septembre 1995, a permis de renverser le président Saïd Mohamed Djohar, autocrate devenu incontrôlable. Le président déchu n’est pas revenu au pouvoir, le mois suivant, après l’intervention des forces françaises... Même cantonnés dans de petits rôles, les mercenaires restent donc, le cas échéant, des outils de la politique étrangère de la France, un certain nombre d’agences spécialisées constituent de véritables plaques tournantes pour obtenir ce type d’emploi. Les plus connues des agences de sécurité privées ou des sociétés de prévention et de gestion des crises. Des entreprises de sécurité aux contours flous, se défendent d’entretenir quelque lien que ce soit avec ce genre d’activité, mais la frontière reste floue avec les sociétés militaires privées. La France proclame avoir opté pour la voie de la prohibition. Mais le doute subsiste : en interdisant la participation aux combats, on ne règle la question ni de l’encadrement des opérations, ni de la formation, ni des spécialités - qui constituent le gros de l’activité des mercenaires français. Cela explique peut-être l’ambiguïté du propos tenu devant le Sénat par la ministre de la défense, Mme Michèle Alliot-Marie, lors de la présentation du projet, le 3 avril 2003 : « Il convient de sanctionner les excès du mercenariat en encadrant sa pratique. » A quelle fin ? S’interdire, désormais, le recours aux soldats privés ? Ou rétablir un mercenariat plus contrôlable ?

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